14 Avril 2017
(Extrait de Mammeri a dit de Aomar Aït Aïder, éditions Odyssée, édition revue et augmentée, 2015)
(...) Les phéniciens sont le premier peuple étranger à venir nous coloniser. Ils ont occupé notre pays pendant huit siècles. Durant la période qu’ils passèrent chez nous, ils écrivaient dans leur langue, le phénicien. Ils ont écrit des livres, particulièrement sur les domaines où ils excellent : l’agriculture et le commerce. Ces livres ont disparu. Après leur victoire face aux phéniciens, les Romains ont effacé toute trace de ces derniers.
A l’époque phénicienne déjà, les Berbères écrivaient plutôt en phénicien qu’en tamazight. Et ce fut la même chose sous l’occupation romaine. Beaucoup de Berbères écrivaient des livres. Il en était même parmi eux qui figuraient au rang des meilleurs écrivains latins. Au troisième siècle après Jésus-Christ, on peut dire que la plupart de ceux qui écrivaient en latin étaient d’origine berbère. Pas besoin de citer leurs noms à tous ; certains sont très connus et reconnus comme de grands écrivains à l’instar de Fronton, Saint Augustin, Saint Cyprien, Tertullien, Apulée…et beaucoup d’autres. Ces écrivains berbères du deuxième et troisième siècle s’exprimaient donc en latin. Pourquoi ? Le latin était la langue de la civilisation. Alors quiconque voulait s’exprimait sur un domaine qui lui semblait intéressant, le faisait en latin. Les auteurs berbères ont donc produit leurs livres en latin. Ils ne l’ont pas fait en berbère pour nous les léguer, mais ur ixsir wara…leur travail n’est pas perdu pour autant.
Et depuis, la situation est restée telle qu’elle. Même s’il y avait des Berbères qui écrivaient en tamazight, et il y en avait, ils le faisaient avec d’autres caractères que les nôtres. Particulièrement après l’arrivée de l’Islam, beaucoup se sont mis à écrire avec des caractères arabes.
Essayons maintenant de voir d’où vient la forme actuelle de tamazight. On peut dire que les livres les plus anciens qui nous soient parvenus à ce jour ont été écrits avec des caractères arabes. Les plus anciens d’entre eux remontent au 18ème siècle après Jésus-Christ. Il se peut qu’il y en ait de plus anciens encore, chez les Mozabites, par exemple.
Il existe chez les Mozabites des livres écrits en berbère, en taznatit précisément, taznatit étant la langue d’expression des Mozabites. Mais on ne peut pas dater avec précisions ces livres. On retrouve aussi au Maroc d’autres livres écrits en tachelhit. Tout le monde sait que la dynastie almohade a été créée par les Chleuhs du Haut Atlas.
La dynastie almohade a été créée sur une base religieuse, selon leur propre conception de la religion. U Tumert, le concepteur de cette voie religieuse, a écrit deux livres en tamazight. Ces deux livres portent sur les questions religieuses. Ils ont été traduits en arabe. Aujourd’hui, on ne retrouve plus trace des versions originales. Ont-ils été égarés ou simplement cachés ? Toujours est-il qu’ils ont existé même si seules les versions arabes sont disponibles de nos jours. Et depuis U Tumert, écrire en tamazight avec des caractères arabes est devenu une tradition chez les Chleuh. Au 18ème siècle, plus qu’en tout autre temps, les Chleuhs produisirent plusieurs livres sur l’islam et son interprétation. Ces livres existent encore et peuvent être consultés dans les bibliothèques qui les ont conservés. L’un de ces livres s’appelle « L’hawd ». Beaucoup de vers le composent, parce qu’il s’agit d’un livre de poésie, plus de mille vers où l’auteur du livre qui s’appellerait Ali Anzar, si je ne me trompe, explique et développe les préceptes de l’islam. Il nous reste aussi quelques livres de contes en Tachelhit. Ces livres peuvent être consultés. Certains d’entre eux ont même été édités.
On a donc des livres en tachelhit, en mozabite et même en kabyle. Moins en kabyle, quand même. Moi-même, j’ai connaissance de deux de ces livres. On peut dire que la plupart de ces livres se retrouvent chez les Marabouts. Ce sont essentiellement ces derniers qui étaient instruits à l’époque. Les kabyles aussi l’étaient un peu. Mais c’est surtout aux marabouts qu’incombait le rôle d’instruction. Le besoin ne se faisait pas beaucoup sentir chez les Kabyles. Ce sont donc les Marabouts qui écrivaient. Ils transcrivaient des poèmes et des contes kabyles avec des caractères arabes. Mais à mon avis, la plupart de leurs écrits ont disparu. Du peu qui reste, j’ai personnellement pris connaissance de deux livres. Dorénavant, il faut, à mon sens, essayer de récupérer le maximum d’écrits. Chez les Kabyles, les Marabouts ou tout autre détenteur possible. Qu’ils portent sur l’histoire ou la poésie, qu’ils soient rédigés avec des caractères arabes ou autres, pour peu qu’ils soient écrits en kabyle ou portent sur le kabyle, ces documents doivent être sauvés et sauvegardés. Il faut sinon les publier du moins les recopier et les mettre à disposition des chercheurs s’intéressant au domaine berbère. Car si ces documents sont gardés jalousement par leurs propriétaires, ils finiront par disparaitre définitivement ce qu’il serait dommage pour la culture berbère.
Jusque-là, on a parlé de l’écriture de tamazight et des écrits en tamazight. Mais s’agissant de l’enseignement de la langue il n’y en eut point jusqu’à présent dans ce pays. Ceci est une affaire politique. Un peuple qui n’a pas d’Etat ne peut voir sa langue enseignée par d’autres. Les dominateurs ne sons tenus d’étudier, ni même d’enseigner la langue d’un peuple qu’ils colonisent.