12 Janvier 2017
Ces vers que vous avez sucés avec le lait de Fadma At Mansour, vous avez été contraints de les rendre dans une langue étrangère. Ils essayaient à tâtons de rendre les échos qui résonnaient en vous autrement. Ils étaient beaux mais ils pleuraient l’exil ( d ighriben) : pour qui connaissait la source d’où ils sourdaient, ils faisaient orphelins. Il fallait raccorder les morceaux brisés de vos cœurs jamais guéris de la blessure. Voilà, c’est fait.
Je sais bien qu’un jour Adam a été chassé d’Eden et que ne nous cessons pas de rejouer à petite échelle le grand drame, mais aussi obstinément nous croyons, nous crions qu’Eden nous est dû et que notre destin est d’y revenir un jour d’entre les jours de Dieu (yiggwas deg-gussan r-Rebbi)
Je sais aussi que le français dont vous vous êtes servi, c’était aussi vous, vous ne l’auriez pas si amoureusement manié, si vous ne vous y reconnaissiez en partie mais, Jean, rappelle-toi, tu ne savais pleurer qu’en berbère.
Mouloud Mammeri
Préface à Chants berbères de Kabylie de Jean Amrouche