24 Janvier 2017
La Colline oubliée m’a enthousiasmé dès sa parution. Ce roman « amour » suffirait à situer son auteur comme un grand écrivain, en Algérie et dans le monde. Je lui exprimai mon admiration lors d’une première rencontre à Paris. Nous ne nous sommes revus qu’à la fin de la guerre de libération, toujours à l’étranger, en Egypte, en Italie, en URSS, dans des réunions internationales…En 1962, au congrès des écrivains afro-asiatiques du Caire, je pris sa défense, alors qu’on lui reprochait d’avoir été parrainé par le maréchal Juin pour l’attribution d’un prix littéraire à La Colline oubliée.
Jusque-là, nos relations étaient bonnes. Nous nous sommes brouillés après l’indépendance, lorsque Mammeri est devenu le président de l’union des écrivains algériens, une organisation fantoche, fabriquée de toutes pièces, sans congrès, et en l’absence de la plupart des écrivains. Il est vrai que Mammeri reconnut par la suite son erreur. Je savais aussi par ses étudiants qu’il déployait tous ces efforts pour l’enseignement de de Tamaziɣt. C’était là son terrain d’action.
Il fut à cet égard l’écrivain algérien le plus engagé dans la défense de la première langue dépositaire d’une culture nationale, ce qui lui valut toutes sortes de persécutions, jusqu’à l’interdiction de sa conférence sur la poésie anciennes des Kabyles par le préfet de Tizi-Ouzou. Cette mesure donna lieu aux imposantes manifestations d’avril 1980 commémorées chaque année comme un évènement historique. De ce point de vue, on peut dire que Mammeri a été le pionnier d’une révolution culturelle qui ne fait que commencer, et qui lui doit ses premiers pas.
Voilà pourquoi je lui ai manifesté ma solidarité et protesté contre l’interdiction de sa conférence, devant deux mille étudiants à l’université de Tizi-Ouzou.
Mouloud Mammeri laisse un grand vide. Sa mort subite est une perte pour la littérature et la culture du Maghreb, et cela au moment où la presse algérienne commençait à lui rendre hommage, après une longue conspiration du silence. Aujourd’hui, ses efforts portent leurs premiers fruits. Il a eu beaucoup mieux que des funérailles nationales : deux cent cinquante mille Algériens l’ont accompagné jusque dans le village où il repose, reconnu par les siens comme l’un des meilleurs, d’autant plus grand qu’il fut modeste.